Description
Le jour où elle apprend qu’un ami de son fils ne peut plus héberger un jeune migrant, Joëlle n’hésite pas. Ce soir-là, il est convenu par téléphone qu’Amara restera 10 jours. Elle a quelques instructions : lui préparer un bon petit déjeuner le matin avant de le laisser partir en maraude, quelques règles de cohabitation, et un avertissement : il ne faut pas interroger ces jeunes sur leur voyage.
De cet hébergement, qui durera finalement 9 mois, pendant lesquels Joëlle a appris à Amara à lire et écrire, ils ont tenu un journal. Un journal politique et poétique pour donner la voix à ceux qui vivent les migrations.
Les auteurs
Amara CAMARA est ivoirien, guinéen. Il est entré en France le 27 août 2017, alors qu’il était encore mineur. Après sa rencontre avec Joëlle Le Marec, il apprend avec elle à lire et à écrire en quelques semaines et commence à écrire des chansons et de la poésie.
Mon nom d’artiste, c’est Amssi :
A comme Action (je suis dans l’action, toujours)
M comme Million (je voulais être millionnaire pour tirer la famille de la misère)
S comme Soleil (il brille pour tout le monde)
S comme Sociable (il faut connaître toutes sortes de personnes)
I comme Intelligence (ce qui compte, c’est de faire les choses intelligemment)
Joëlle LE MAREC est Professeure des Universités au CELSA, Sorbonne. Auteur de plusieurs ouvrages, elle travaille sur les musées et bibliothèques comme lieux d’expression culturelle des savoirs, mais aussi sur les pratiques d’enquête, et sur les rapports sciences et société.
J’habite à La Chapelle depuis longtemps. À partir de 2015, beaucoup de nouveaux arrivés vivent dans la rue, dont des mineurs, isolés. Peu à peu l’évidence s’est imposée : quand les frontières se ferment, il faut ouvrir sa porte. Les savoirs sur le monde affluent et ouvrent la voie à de nouveaux récits.J’entre alors en dialogue quotidien avec Amara. Nous partageons des apprentissages pendant neuf mois, et au-delà.
Le mot de l’éditeur
Alors même que les actualités parlent des migrants quasi quotidiennement, que les évènements se succèdent à propos des migrations, de l’hospitalité, de la géopolitique… etc., il est finalement très rare d’entendre réellement la voix des ces migrants. C’est ce qui rend ce texte si précieux.
La puissance de ces tout premiers textes d’Amara Camara et la finesse du récit de Joëlle Le Marec font de ce journal un ouvrage nécessaire.
Une manière aussi de montrer que tout est politique : de l’écriture à l’ouverture de la porte de sa maison.
Le premier dimanche d’octobre, je suis allée au cinéma avec un de mes fils. Nous nous sommes promenés le long du bassin de la Villette. Il y avait des groupes d’hommes assis sur les marches d’escalier face à des bénévoles du BAAM, le bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants, qui donnaient leur leçon de français en plein air.
Je me rappelle m’être dit que je n’oublierai pas l’ambiance nerveuse et chaleureuse de cette soirée parisienne : le trajet vers le quai de Loire, la traversée de la place, le passage sur le pont au-dessus de l’écluse, la discussion avec Amaury à propos du souvenir d’une soirée au cinéma qui avait changé son imaginaire quand il était tout petit. Je me souviens de ces récits de souvenirs, car cette soirée ferait peut-être partie elle-même de la collection des moments qui précèdent la transformation du cours des choses.
Je me suis dit qu’après cette soirée, une part d’insouciance disparaitrait peut-être, comment savoir ? De toute façon, l’insouciance disparaît peu à peu depuis des années en Europe. Je me rappelle m’être dit que mes deux fils étaient cette fois encore liés intimement à ce moment de veille de changement. Car c’est Raphaël qui m’avait parlé d’accueillir pendant quatre ou cinq jours un jeune africain, ivoirien ou malien, tout récemment arrivé en France, en attendant qu’il soit reconnu comme mineur isolé et pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance. Le jeune dormait depuis quelques jours sur le canapé d’un de ses amis. Cela faisait des mois que je cherchais à faire quelque chose d’autre que de côtoyer chaque jour les personnes venues d’ailleurs, si lointaines et si proches, dans les squares de la Goutte d’Or, ou dans la queue devant le local de France Terre d’Asile. Le matin je passais chez le boulanger acheter quelques baguettes pour en donner aux petits groupes qui s’éveillaient, avec le sentiment pénible de me faire du bien à moi-même plus qu’à ces jeunes inconnus du trottoir.
Le jour où Raphaël m’a parlé de son ami qui ne pouvait plus continuer d’héberger un jeune migrant de 16 ou 17 ans et que ce serait peut-être l’occasion pour moi de m’engager, je n’ai pas hésité et tout s’est passé en 24 heures. Rétrospectivement, c’était trop précipité : j’aurais dû me renseigner sur les différents réseaux d’hébergeurs bénévoles. Mais je ne le regretterai jamais : comment regretter la rencontre avec une personne remarquable, celle-ci et nulle autre ?
Ce soir-là, je pense que le principal changement dans ma vie sera l’entrée dans la sphère militante de ceux qui aident concrètement : je me représentais les transformations à venir comme une densification des amitiés, les liens, les apprentissages solidaires militants. Ce ne sera pas le cas. Le changement sera la rencontre avec Amara, un jeune ivoirien de 17 ans, et tout ce qui s’en suivra avec mes proches et avec ceux et celles qu’il prendra l’initiative lui-même de me faire rencontrer. Encore aujourd’hui, je peux compter sur les doigts d’une main les contacts avec les membres du réseau d’hébergement qui avait repéré et aidé Amara lorsqu’il s’était retrouvé à la rue, réseau que j’imaginai être la communauté dont je ferai partie. L’ouverture, les liens viendront de lui. Je ne veux pas détailler plus : nous faisons toutes et tous ce que nous pouvons. Les problèmes viennent des politiques inhumaines et pas de ceux qui aident.
Ce soir-là, il est convenu par téléphone qu’Amara restera 10 jours. J’ai quelques instructions : lui préparer un bon petit déjeuner le matin avant de le laisser partir en maraude, quelques règles de cohabitation, et un avertissement : il ne faut pas interroger ces jeunes sur leur voyage.
— Joëlle